12/10/2017

*Chiner*




Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu trente minutes pour rien. Trente minutes à tuer. Je n'aime pas cette expression. Trente minutes à attendre. Trente minutes à déambuler. Trente minutes à marcher dans les feuilles de platane écrasées sur le large trottoir. Trente minutes dans la fin du jour.
J'ai monté les escaliers pour rejoindre l'autre boulevard. Il y a là une boutique de vieilleries. Des vieux cadres fleuris, des tapis persans, des pampilles, une sorte de capharnaüm. Même le trottoir devant était chargé ce soir. Il avait dû y avoir arrivage. Il avait dû y avoir la maison d'une mémé à vider.
Il m'a dit bonjour quand je suis entrée, j'ai répondu mais je ne l'ai pas regardé, des bouquets aux couleurs fanées m'attiraient. J'ai sillonné entre les meubles, frôlé les vieux miroirs, soulevé des tableaux, ouvert un livre jauni, avant de ressortir.
J'ai essayé un petit sac en cuir posé sur une table, ouvert un porte-monnaie, déplié un foulard en soie. J'ai regardé de nouveau cette chaise qui m'avait tapé dans l'oeil mais dont je doutais du prix. Six euros. Etrange. Et j'ai pris à deux mains l'énorme livre posé sur un tabouret.
- C'est le tabouret que vous regardez ?
Il s'approche.
- Oui.
- Il est joli, dit-il en le soulevant.
- Oui. Il est à six euros aussi ? Comme la chaise là-bas ?
- Oui.
- Ha.... Bon. Je vais prendre la chaise.
- Je vous offre le tabouret.
- Ha mais non, pourquoi ? Alors, dans ce cas, je vais acheter autre chose, cette cafetière, elle est à combien ? Et ce petit cadre ?
- Je vous offre tout, et la chaise aussi. Vous êtes jolie comme un coeur et votre sourire me suffit.

Et patati et patata, c'est un peu long, je me débats, il évite ses collègues, il ne veut rien entendre, ni que je suis vieille, ni que je n'ai plus vingt ans, ni qu'on ne m'achète pas avec une chaise, ni que je tiens à payer, il emballe tout avec soin, me chuchote de cacher mon billet, me répète de me laisser faire, qu'il a le droit de faire des cadeaux, que je suis ravissante, il apporte tout dans mon coffre, suivi par son grand chien qui ne traverse qu'au feu vert, me glisse sa carte, tout de même, où il a souligné son numéro de téléphone et dessiné un bouquet de fleurs et il ajoute, tout appartenait à la même famille, des gens adorables, j'assure la transmission.

Dans la voiture je ris avec mon ado et je lui demande :
- Ça te fait quoi d'avoir une mère jolie comme un coeur ?
- Ça me fait un billet de plus dans ma tirelire. J'ai bien entendu, c'est lui qui l'a dit.

Trente minutes, un tabouret, une chaise, une cafetière et un cadre plus loin, la nuit est tombée, nos éclats de rire éclaboussent mes rides aussi heureuses qu'embarrassées.

*

Dessin disponible en carte ici.